Vers une IA générative plus transparente et responsable sur le plan environnemental

Depuis quelque temps, l’évaluation de l’impact environnemental des modèles d’IA générative gagne en importance. Mistral AI franchit un pas majeur en publiant une analyse complète du cycle de vie (ACV) de son modèle phare, Large 2, réalisée avec des partenaires spécialisés et validée par des experts indépendants. Cette initiative constitue une première mondiale : un acteur majeur du secteur rend public un ensemble complet de données tangibles sur les émissions de CO₂, la consommation d’eau et l’épuisement des ressources lié à un LLM opérationnel.

Le modèle Large 2, après environ dix‑huit mois d’utilisation jusqu’à janvier 2025, a généré environ 20,4 kilotonnes équivalent CO₂, consommé 281 000 m³ d’eau, et utilisé des ressources non renouvelables équivalentes à 660 kg en antimoine (unité standardisée servant à comparer la consommation de métaux rares). Pour la phase d’inférence, chaque réponse de 400 tokens via l’assistant Le Chat représente environ 1,14 g de CO₂, 45 mL d’eau et 0,16 mg d’antimoine. Ces chiffres offrent une granularité rare — bien supérieure à tout ce qui a été publié jusque-là dans le secteur.

L’analyse révèle que l’essentiel de l’impact provient de la phase de formation et d’inférence (85,5 % des émissions de gaz à effet de serre et 91 % de la consommation d’eau), tandis que la fabrication, le transport et la fin de vie des infrastructures contribuent à environ 61 % du déplétion des ressources matérielles. Cette répartition met en lumière la double responsabilité : optimiser le matériel tout en rendant plus efficient l’usage au quotidien.

La méthodologie utilisée s’appuie sur la méthode Frugal AI conçue par l’AFNOR, conforme aux standards internationaux tels que le GHG Protocol Product Standard et les normes ISO 14040/44. Les indicateurs mesurés — GWP100 pour le CO₂, WCP pour la consommation d’eau et ADP pour l’épuisement des ressources abiotiques — sont cohérents avec les pratiques des analyses de cycle de vie. Le modèle ADP, exprimé en équivalent antimoine, rend possible la comparaison uniforme entre matériaux aux réserves très différentes (par exemple cuivre vs or).

En tirant ces enseignements, Mistral AI plaide pour l’adoption d’un cadre de reporting environnemental standard au sein de l’industrie : trois métriques clé sont recommandées : l’impact total de l’entraînement du modèle, l’impact par requête (inférence), et le ratio entre inférence et cycle de vie complet. L’ensemble doit être communiqué de manière transparente pour permettre comparabilité et décision éclairée, notamment pour les acheteurs institutionnels et les pouvoirs publics.

Sur le terrain de l’usager, Mistral encourage une pratique d’IA sobre et efficiente : former les utilisateurs à mieux interroger les modèles, grouper les requêtes, choisir la taille de modèle adaptée à la tâche, plutôt qu’utiliser systématiquement les plus gros modèles pour chaque usage. L’intégration de critères environnementaux dans les appels d’offres publics, notamment la consommation énergétique et la taille du modèle, peut envoyer un signal fort au marché.

Cette communication va au-delà d’un simple effort de transparence : elle constitue un appel à l’industrie pour créer une norme globale. Mistral s’engage à actualiser régulièrement ses rapports environnementaux et à participer aux discussions internationales sur le développement de standards sectoriels. Les données seront rendues disponibles via une base publique, contribuant à rendre ce référentiel une référence de transparence dans le domaine de l’IA.

Cette initiative suscite des commentaires élogieux, mais aussi critiques. Certains remarquent l’absence de séparation explicite entre formation et inférence dans les chiffres présentés, ce qui est souvent un point clé dans la discussion sur la consommation réelle des modèles. D’autres estiment que les unités de mesure (20,4 ktCO₂) pourraient gagner en lisibilité si elles étaient mises en contexte par rapport à d’autres activités humaines ou industrielles.

Malgré ces limites, l’approche adoptée marque une avancée significative : un modèle complet, transparent, audité par un tiers et publié publiquement, ce qui en fait un modèle de référence pour toute une industrie en proie à l’impératif de durabilité. Elle illustre concrètement que chaque requête d’IA, si petite soit-elle en impact individuel, peut cumuler des tonnes de CO₂ à grande échelle — appelant à des pratiques responsables en termes de volume d’usage.

En conclusion, ce travail éclaire d’un jour nouveau notre compréhension des modèles de génération de texte à grande échelle. Il offre un cadre méthodologique solide pour évaluer leurs impacts sur plusieurs dimensions environnementales. Il appelle tous les acteurs — développeurs, utilisateurs institutionnels, régulateurs — à adopter une stratégie d’IA responsable, où la transparence, l’efficience et la suffisance sont les maîtres-mots. Pour les consultants, formateurs et chercheurs en IA, cette étude est une feuille de route : agir aujourd’hui sur les modèles déployés et demain sur les règles et standards de l’écosystème global d’IA.