Construire des agents pour accélérer les workflows métiers
Les premiers retours terrain sur l’IA agentique confirment une transition décisive : pour franchir le cap des maquettes isolées, les organisations doivent désormais raisonner en « systèmes d’agents » capables de planifier, d’agir et de collaborer. Là où l’IA générative classique restait confinée au dialogue ou à l’enrichissement documentaire, l’agentique insuffle une dimension opérationnelle : accès direct aux API, aptitudes de décision, boucles d’auto-vérification, gestion de la mémoire et implication graduée de l’humain. Dans les centres de traitement, sur les desks financiers ou dans les équipes de support, ces agents libèrent déjà du temps-cerveau : moins de saisies manuelles, plus d’analyse et de contrôle de qualité. Cette évolution reste pourtant exigeante : les modèles sont coûteux, la latence doit être tenue, la cybersécurité ne tolère aucune brèche, et la gouvernance des permissions devient stratégique.
L’architecture s’appuie sur un spectre progressif de patterns : réflexion, planification, routage, agrégation, ReAct ou encore multi-agents spécialisés. Chacun vient répondre à des besoins précis – choisir l’API la plus pertinente, découper une tâche complexe, croiser plusieurs points de vue, ou faire travailler des spécialistes virtuels en parallèle. Cette granularité évite l’écueil du « prompt monolithique » et réduit l’usure cognitive : plutôt que d’empiler des instructions interminables, on compose des briques réutilisables, testables et documentées. Dans la pratique, un simple agent « planner » peut engendrer un flux séquentiel (collecte, traitement, vérification), tandis qu’un routeur intelligent oriente la requête vers le micro-service ad hoc. Ces structures, inspirées de la théorie des graphes et du design logiciel, réconcilient deux impératifs longtemps antagonistes : la créativité des LLM et la prévisibilité attendue par l’IT.
Pour passer à l’échelle, trois protocoles normalisent la circulation de l’information : MCP standardise l’accès aux données et aux outils ; A2A formalise la délégation entre agents ; AG-UI expose en continu le raisonnement à l’utilisateur. Concrètement, MCP joue le rôle de « prise universelle » : un agent trouve tout seul le bon connecteur, négocie l’authentification et renvoie une réponse structurée, sans qu’on ait à recoder trente adaptateurs maison. A2A, lui, instaure une place de marché interne : chaque agent publie ses compétences, ses SLA et son coût, puis accepte ou refuse une mission selon ses contraintes. Enfin, AG-UI rétablit la confiance : l’utilisateur voit défiler la pensée, l’action et l’observation, peut suspendre l’exécution, ajouter un contexte sensible ou valider la décision finale. Ensemble, ces couches tempèrent les risques de dérive tout en réduisant la dette technique d’intégration.
Côté mise en œuvre, l’écosystème se scinde aujourd’hui entre frameworks « pro dev » et plateformes Low/No Code. Chez les développeurs, LangGraph offre un contrôle millimétré des boucles et des embranchements ; CrewAI simule une équipe dotée de rôles explicites ; l’Agent Framework unifié de Microsoft combine la robustesse entreprise de Semantic Kernel avec la souplesse multi-agents d’AutoGen ; LlamaIndex, lui, marie retrieval, mémoire persistante et orchestration événementielle. Ces outils apportent la télémétrie, la gestion d’état, les guardrails et la persistance attendus en production. En parallèle, Copilot Studio, AgentKit ou Gemini Enterprise démocratisent la discipline auprès des métiers : un designer visuel, quelques descriptions en langage naturel, des connecteurs prêts à l’emploi et un volet gouvernance. Cette double trajectoire rappelle l’histoire du RPA : l’automatisation débute dans les mains expertes, puis se diffuse via des ateliers graphiques dès que les garde-fous sont en place.
Évaluer un système agentique oblige à regarder bien au-delà de la sortie texte. Une première passe automatique vérifie la conformité syntaxique : rappel, précision, exécution sandbox pour les requêtes SQL, validation des formats JSON ou des statuts HTTP. Une seconde passe confie au « LLM-juge » l’examen de la cohérence sémantique et du style, en comparant plusieurs hypothèses de réponse. Mais seul le jugement humain, ciblé sur les cas critiques, tranche la valeur métier : pertinence réglementaire, adéquation au ton de marque, respect d’une politique RSE. L’enjeu est alors de répartir l’effort : automatiser tout ce qui peut l’être, réserver aux experts les cas sensibles, et documenter chaque critère pour limiter la subjectivité. Certaines équipes couplent même l’évaluation à un fine-tuning par renforcement : les retours humains ré-entraînent la politique d’agent afin de réduire les erreurs récurrentes.
La mémoire devient enfin la pierre angulaire de la valeur. Sans elle, l’agent reste amnésique : chaque interaction repart de zéro, les contextes se répètent, la personnalisation stagne. Avec une mémoire structurée – épisodique pour le fil court, vectorielle pour les connaissances, relationnelle pour les faits pérennes –, l’agent évolue en partenaire persistant. Il peut rappeler une préférence utilisateur six mois plus tard, éviter de reproposer une offre déjà déclinée ou rapprocher des signaux faibles disséminés. Les expérimentations montrent qu’une architecture à trois niveaux (cache de conversation, base vectorielle, base transactionnelle) maximise la pertinence tout en maîtrisant les coûts de requêtage. De là naît un KPI inédit : le taux de réutilisation de la mémoire, proxy direct du retour sur investissement.
Au-delà de la technique, l’IA agentique redéfinit la trajectoire de transformation numérique. Les retombées financières ne se mesurent plus seulement en heures gagnées, mais en cycles d’apprentissage abattus : un onboarding KYC compressé de jours en minutes, un rapprochement comptable qui détecte un écart à chaque itération, une cellule de veille qui scrute l’actualité macroéconomique 24 h/24. Les organisations qui réussissent partagent sept pratiques : aligner les cas d’usage avec un irritant métier tangible ; prototyper vite avec un pattern simple ; sécuriser l’accès aux ressources via MCP dès le PoC ; instrumenter l’évaluation dans le pipeline CI/CD ; tracer chaque décision pour l’audit ; orchestrer la montée en puissance du hardware ; et former les équipes à penser « agent first ». Sous cette condition, le SI cesse d’être une somme de micro-services : il devient un vivier de collaborateurs virtuels que l’on embauche, licencie, promeut ou redéploie selon la demande, comme l’annonçait récemment un célèbre concepteur de GPU.
Le chemin reste semé d’écueils : coût en tokens et latence réseau, effets de bord sur la charge CPU, propagation d’identités dans un graphe d’autorisation, gouvernance des serveurs MCP encore jeunes, ou standardisation sémantique entre fournisseurs. Pourtant, l’écosystème converge : la couche protocolaire se stabilise, les SLM réduisent la facture énergétique, et les frameworks ajoutent la persistance, la télémétrie et la reprise sur incident. Dans ce décor, les organisations qui embrassent l’agentique dès maintenant gagneront un double avantage : un capital de workflows durables et un patrimoine de mémoire exploitable par les prochains modèles. Les autres risquent de reconstruire, demain, ce qu’elles automatisent aujourd’hui.
